samedi 25 octobre 2014

"La nature a toujours été hostile", Corentin de Salle, Le Soir, 22 octobre 2014

Le philosophe Corentin de Salle défend une conception libérale de l'écologie. Nous lui avons demandé de réagir aux idées avancées par Matthieu Ricard et autres auteurs défendant les animaux.


Le SOIR: Quelles objections formulez-vous à cette idée très syncrétique selon laquelle l'homme fait pleinement partie de la Nature et qu'il n'y a pas à la mettre à sa botte ?


Corentin de SALLE : Je ne condamne pas cette évolution en tant que telle car je pense qu'il s'agit d'une avancée civilisationnelle. La souffrance animale est une réalité. Le fait que l'homme y soit plus sensible est la preuve que nos sociétés, à mesure qu'elles prospèrent, se soucient du bien-être des autres êtres vivants.
Cela dit, j'ai quelques objections sur les idées véhiculées dans ces ouvrages qui paraissent aujourd'hui. J'en formulerai quatre.

La première a trait au fait de faire croire que la nature nous a offert ses dons, qu'on aurait profité des conditions environnementales très favorables ces 10.000 dernières années. C'est une conception naïve, animiste de la nature. Quand on regarde l'histoire humaine, on se rend compte que la nature a toujours été hostile, et que l'homme a réellement dû se battre pour la rendre habitable, et même pour l'améliorer à bien des endroits.

La deuxième objection, cest cette conception de la nature comme un tout harmonieux, où chaque chose est à sa place, et au sein de laquelle on doit avoir des relations de « bon voisinage ». Cela ne correspond pas du tout à la réalité naturelle. Ce que nous apprend la science, c'est que la nature
n'est pas un système fixe, où chacun doit occuper une place déterminée dont il ne peut sortir, avec des interactions constantes, etc. C'est au contraire un système dynamique qui ne cesse de se recomposer et de se réinventer. C'est dailleurs cette capacité de la nature à se réinventer, à se régénérer, à se défendre contre les agressions qui est passionnante. Aujourd'hui, la toundra se réchauffe et reverdit entièrement. Les déchets plastiques dans certaines zones de l'océan ont donné naissance à toute une nouvelle faune et une nouvelle flore. Etc.

La troisième objection, c'est l'idée selon laquelle on pourrait interpréter ce que veut la nature. Comme on la considère comme un sujet de droit, on lui prête une conscience, des désirs,... Non, l'animal n'est pas une personne comme le croit quelqu'un comme Giesbert. Il n'est pas une personne car il lui manque une qualité essentielle: la liberté. Seule la liberté confère des droits. Je ne parle pas ici de la captivité des animaux mais du fait qu'ils sont prisonniers de leurs codes comportementaux. L'homme est libre car il n'a pas d'essence. Son essence est de ne pas avoir d'essence. Même un animal vivant à l'état sauvage est incapable d'être libre car il agit en fonction d'instincts et des scenarii programmés. Dès lors, cela n'a aucun sens de lui conférer des droits. Ce ne sont pas des sujets de droit mais des objets de responsabilité.

Enfin la quatrième objection, c'est cette culpabilisation par rapport au fait de consommer des animaux. En réalité, je pense que c'est quand nous consommons de la viande que nous nous comportons de la manière la plus naturelle. Tous les animaux carnivores le font et, quand nous le faisons, nous nous rapprochons d'eux.


Le SOIR: Reste qu'on en consomme énormément. Trop...


Corentin de Salle: On en consomme énormément, mais on a adapté le nombre total d'animaux dont on a besoin pour vivre. Comme l'a dit l'économiste américain Henry George il y a plus d'un siècle, "une augmentation de la population de faucons conduit à une diminution de la population de poulets, tandis qu'une augmentation de la population humaine conduit une augmentation de la population de poulets...".
Alors, l'idée qu'il y ait des souffrances inutiles engendrées pas cela, je ne le conteste pas et il faut lutter par rapport à ça. Les progrès technologiques peuvent nous y aider. On arrive désormais à fabriquer de la viande synthétique à partir de cultures de cellules. On en est encore aux balbutiements mais cela permettrait de diminuer la souffrance animale dans le monde et de faire des économies considérables d'énergie et de ressources.

Cela dit, le discours de Ricard par rapport à cela nest pas vraiment neuf. Tout cela vient de la Deep Ecology (terme forgé par le philosophe norvégien Arne Næss au début des années 70, NDLR), qui s'enracine elle-même dans l'utilitarisme de Jeremy Bentham (1748-1832), lequel comparait lui aussi les souffrances humaines et animales. L'écologisme bobo bien-pensant a donné une seconde vie à cette tradition. Même Aymeric Caron, l'un des papes du politiquement correct de la gauche, a commis un ouvrage sur le sujet. C'est tout dire...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire